Les photographes cherchent souvent à saisir ce qui ne l’a pas été avant eux. Pour son projet sur le mont Baker, l’un des sommets volcaniques de la chaîne des Cascades, dans l’Etat de Washington, dans le Nord-Ouest des Etats-Unis, Peter Funch a fait la démarche inverse. Il a mis un soin particulier à cadrer ce qui avait été le plus photographié au cours du dernier siècle, cherchant les angles de vue qui ont produit le plus de cartes postales, de tableaux, d’images de toutes sortes.


Peter Funch a réalisé ces clichés à l’invitation de l’organisation Project Pressure, dont le but est de construire une base de données photographique mondiale des glaciers d’altitude, afin de documenter visuellement les effets du réchauffement : ceux qui se sont déjà produits et ceux à venir. « J’ai choisi le mont Baker parce que c’est une zone touristique très fréquentée. Elle a fait l’objet de tant d’expéditions au cours du siècle dernier que je savais qu’il existait de nombreuses images des glaciers de cette montagne, raconte-t-il. Avant l’expédition, j’ai cherché en ligne et en bibliothèque, j’ai acheté des cartes postales. Le but est que l’on puisse voir ce à quoi ils ressemblaient dans le passé et ce à quoi ils ressemblent désormais. »

Selon les prises de vue, les retraits des énormes langues glaciaires qui tapissent les flancs de la montagne apparaissent évidents. Ou pas. Car ils ne s’imposent pas au premier regard. « Mais lorsque vous songez à l’échelle, vous réalisez que ces changements sont déjà importants et qu’ils mettent en lumière la fragilité de ces glaciers », ajoute Peter Funch. Outre le déclin de ces géants de glace, déjà condamnés, apparaît parfois dans le paysage l’accélération d’autres bouleversements en cours. Ici ce sont les arbres qui ont disparu. Là, la retenue d’un barrage a changé la physionomie des lieux.

Les images du mont Baker parlent autant du présent que du passé. Destinées à rejoindre l’archive du Project Pressure, elles seront, elles aussi, comparées aux photographies qui seront prises à l’avenir… Chacun des plans est accompagné des coordonnées du point de vue. Pour que quiconque puisse reproduire l’expérience dans cinq, dix ou quinze ans : en téléchargeant les images depuis l’archive du Project Pressure et en se plaçant à l’endroit exact des précédentes prises de vue.

Peter Funch a travaillé les couleurs de ses images en usant d’une décomposition trichromique qui évoque les vieux systèmes d’impression. Les photographies d’aujourd’hui semblent être déjà aussi anciennes que les cartes postales dont elles s’inspirent. Ce n’est pas un gadget visuel, mais plutôt une manière de montrer comment, pour ces glaces immenses et fragiles, l’homme a accéléré le passage du temps.
